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Marcel Ichac (1906-1994) est
considéré comme "le plus grand spécialiste de films de montagne en France
et peut-être dans le monde" (Georges Sadoul, Dictionnaire des cinéastes).
Cinéaste d'exploration, il filmera sur les terrains les plus divers, aux
côtés de Jacques Cousteau, Paul Émile Victor, ou Maurice Herzog.
Il apportera au film documentaire un souffle nouveau, avec une double
exigence d'authenticité absolue et de qualité technique et artistique.
Sorti de l'École Nationale des Arts Décoratifs de Paris en 1924, Marcel Ichac est d'abord journaliste et publicitaire. Il découvre la montagne à
l'âge de 20 ans, puis aborde l'alpinisme et le cinéma en amateur en 1934,
achetant sa première caméra chez un brocanteur.
Dans la foulée il assiste le dessinateur Samivel dans la réalisation d'un
film sur l'Aiguille Verte, et réalise ses premiers courts métrages sur le
ski.
Ses essais d'amateur sont remarqués par les connaisseurs, et le cinéma
devient vite une passion dont il fera son métier.
Réalisateur d'une cinquantaine de films, producteur (Filmartic puis Films
Marcel Ichac), il sera primé dans une trentaine de festivals internationaux
(Oscar du meilleur court métrage à Hollywood en 1964, Cannes, Trento, les
Diablerets, Cortina d'Ampezzo, Banff, etc.).
L'Himalaya
Marcel Ichac sera le cinéaste des deux premières expéditions françaises dans
l'Himalaya.
En 1936, il participe à la première expédition française, menée par Henri de
Ségogne.
Le film qu'il en rapporte, "l'impressionnant Karakoram fera date dans
l'histoire des relations entre le cinéma et la montagne" (Le Cinéma,
Larousse, 1966). Il sera Lion d'argent au festival de Venise 1938. Pour le
cinquantenaire de cette expédition, et avec le recul du temps, Marcel Ichac
sortira une toute nouvelle version de ce film.
En 1950, il part de nouveau pour l'Himalaya, avec M. Herzog, L. Terray,
L. Lachenal, G. Rébuffat, J. Couzy, M. Schatz, J. Oudot, et F. de Noyelle. C'est
l'expédition à l'Annapurna, premier sommet de 8000 mètres jamais vaincu. Les
images qu'il rapportera de cette aventure retentissante – le film Victoire
sur l'Annapurna et de nombreuses photos (livre Regards vers l'Annapurna) –
marqueront la mémoire collective.
Son journal de bord servira à Maurice Herzog pour la rédaction de son
ouvrage Annapurna Premier 8000.
Ils sont parmi les premiers européens à pénétrer l'Himalaya centrale.
Responsable de la documentation scientifique, Ichac pourra ainsi rapporter
des observations géologiques et géographiques nouvelles sur l'Himalaya (dont
une correction des cartes existantes), qui lui vaudront d'être lauréat de
l'Académie des Sciences (1951).
Tous les terrains d'exploration
"Grand maître du documentaire" (Dictionnaire du Cinéma, Jean Tulard, 1992),
Marcel Ichac ne s'en est pas tenu à la montagne, s'aventurant, caméra à la
main, sur plusieurs terrains d'exploration du 20ème siècle.
En 1939, il tourne, dans des conditions semi-clandestines, le premier
reportage jamais réalisé sur les lieux saints de l'Islam : Pèlerinage à La
Mecque. Puis il réalise des films qui sont considérés comme les premiers
véritables documentaires de spéléologie (Sondeurs d'abîmes en 1943, Padirac,
Rivière de la nuit en 1949.
Il ira aussi filmer les plus hauts combats de la seconde guerre mondiale,
aux côtés des F.F.I. des Alpes, jusqu'à la libération de Turin par les
troupes alliées (Tempête sur les Alpes, en 1944-45).
Après la guerre, Marcel Ichac participe aux Expéditions polaires françaises
de Paul Émile Victor au Groenland (Groenland, 20 000 lieues sur les glaces,
1949, primé à Cannes en 1952).
Il accompagne son ami Jacques Yves Cousteau dans plusieurs campagnes de la
Calypso en Méditerranée, mer Rouge, Pacifique et jusqu'au lac Titicaca, sur
les hauteurs des Andes La légende du Lac Titicaca.
Parmi ses autres documentaires tournés dans le monde, on peut citer : Via
Pôle Nord – Tour du Monde Express – Les Danses de Tami au Népal.
Un nouveau souffle au documentaire
L'ambition de Marcel Ichac aura été de ramener des films documentaires
parfaitement authentiques, tournés sur place en des conditions réelles,
refusant les trucages ou mises en scène alors très employées. Son principe
est de tourner avec l'œil de l'alpiniste, pour faire partager le mieux
possible au spectateur les émotions du sportif.
Mais il s'attache également à réaliser des images dont la beauté puisse
rivaliser avec celle des films de fiction.
La marque de Marcel Ichac sera donc des œuvres "aux qualités tant sportives
qu'artistiques" (Ford, Histoire du Cinéma français depuis 1945). "Cette
attitude qui va faire école donnera à ses films un parfum d'authenticité
bien caractéristique" (Grande encyclopédie de la Montagne, Atlas, 1978).
Deux de ses films renouvelleront particulièrement les méthodes du cinéma de
montagne.
À l'Assaut des Aiguilles du Diable (1942), tourné avec le grand guide de
Chamonix Armand Charlet, est l'un des premiers récits intégralement
authentique d'ascension en haute montagne.
Plus tard, Les Étoiles de Midi (1958) sera le premier long métrage français
entièrement tourné en haute montagne dans des conditions parfois
acrobatiques. Ce sera un véritable succès commercial en France, mais aussi
en Allemagne, au Japon, qui fera connaître la montagne à un large public et
vaudra à son auteur le Grand prix du cinéma français. "Telle est bien la
preuve que tout comme un film de fiction, un documentaire réussi peut être
du grand cinéma" (Cinéma français 1930-1960, Atlas).
Parmi ses très nombreux films de ski et d'alpinisme, notons encore : 36
Chandelles, recueil d'humour sportif; Le Médecin des Neiges; Ski de
France, qui a révélé au public la méthode française de ski d'Émile Allais; Le Conquérant de l'Inutile, hommage à l'alpiniste Lionel Terray, 50 ans ou
la vie d'un Skieur, qui est une véritable mémoire du ski français jusqu'en
1968, etc.
Innovations Techniques
"Intelligent, entreprenant, esprit curieux", comme le décrit Maurice Herzog dans
Annapurna 1er 8000, Marcel Ichac s'est aussi intéressé de près à
l'innovation technique.
Dès ses tout premiers films dans les années 30, il lance le principe de la "caméra subjective", abandonnant le lourd matériel utilisé par ses confrères
au profit de petites caméras légères et mobiles, qu'il n'hésite pas à
attacher sur les skis ou sur les skieurs eux-mêmes.
Les films de glisse actuels en sont notamment les héritiers.
Il sera aussi le premier en France à utiliser le procédé technique du grand
écran Cinémascope (Nouveaux Horizons en 1953).
Dès 1936, pour la musique du film Karakoram, conçue par
Pierre Vellones, il
utilise les ondes Martenot, qui marquent le début des synthétiseurs de
musique.
Un sportif accompli
Marcel Ichac afficha plus d'une centaine d'ascensions à son palmarès
d'alpiniste.
Il fut membre de l'Explorers Club de New-York, de la
Société des
explorateurs français et du
Groupe de Haute Montagne (GHM), tout comme son
épouse, Gabrielle Ichac-Lartigue, elle même alpiniste confirmée.
Lorsque la haute montagne lui fut fermée, à 70 ans, Marcel
Ichac se lança dans la
course à pied et la marche de grand fond.
Il participa régulièrement aux 100 Km de Millau (France), et au Marathon de
New-York, dont il obtint en 1986, la première place dans la catégorie diamond
age, des plus de 80 ans.
Le groupe amical et familial
Les films de Marcel Ichac sont, depuis les tous premiers,
des histoires d'amitié. Ses amis de montagne deviendront ses amis dans la
vie et il épousera Gabrielle Lartigue, rencontrée dans le groupe de Bleau.
Les deux autres sœurs Lartigue, Raymonde et Elisabeth, épouseront deux
excellents alpinistes : Régis Artru et le spéléologue Pierre Chevalier. Tous
sont membres du très électif
Groupe de Haute Montagne (GHM), qui
regroupe l'élite de l'alpinisme français.
Le frère aîné de Marcel Ichac, Pierre Ichac, qui
accompagnera en 1935 au Hoggar la mission Coche, où se trouvait aussi
Roger Frison-Roche, sera lui aussi grand
reporter, cinéaste, photographe, mais dans des milieux différents : le
Sahara et les Touaregs, l'Afrique noire.
Les liens développés autour du groupe de Bleau, du
Groupe de Haute Montagne (GHM), du
Club
Alpin Français (CAF) et du
Spéléo-Club de Paris sont indissociables de
la carrière de "Matha".
Sylvain de Boissieu, 1994
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